Flash Recherche Management : Les temporalités de la décision au sein des organisations

L’objectif est d’ouvrir au débat des conceptions divergentes du temps et de la décision afin d’en comprendre les diverses facettes.

pour en savoir plus

La décision est avant tout affaire de temps dans « une société des agendas » où les temporalités se démultiplient et se resserrent (Boutinet, 2004). Urgence, projet, « deadline », opportunité, moment décisif, jalons, chrono-compétition, « business plan », … autant de termes qui rythment la vie des systèmes d’action organisée et ont tous à voir avec une mutation, souvent paradoxale, des temporalités de la décision.

Dans son acception classique, la décision est une fracture abstraite : l’instant du choix où une option est privilégiée au détriment d’une autre. L’attention de certains chercheurs en sciences de l’organisation s’est davantage portée sur le processus à l’origine de la décision. Composé de phases successives - identification, développement, sélection (March & Simon, 1993) –, qui peuvent être perturbées par une quête d’information limitée, l’incertitude, le risque, l’ambigüité, les jeux d’influence pour ne citer qu’eux, ce processus est sous-tendu par une rationalité procédurale. Le temps y est séquencé, rythmé par les allers-retours entre les différentes phases. La durée de la séquence représente elle la distance entre deux évènements : le stimulus originel et l’engagement vers l’action. Cette séquence théorique peut être aménagée. Par exemple, Mintzberg, Raisinghani, & Theoret (1976) montrent que le processus n’est pas linéaire mais procède par des allers-retours jusqu’à ce que l’organisation prenne effectivement la décision de s’engager dans une voie particulière. Cette séquence peut également être resserrée. Ainsi, pour Eisenhardt (1989), dans un environnement turbulent, une décision rapide permet d’atteindre de meilleures performances. Cette séquence est enfin artificielle. Elle maintient la fiction d’un temps propre de la décision distinct d’un temps de l’action et plus généralement de l’organisation ; distinction singulière aux traditions philosophiques occidentales.

Théoriquement, l’approche « chrono-logique » de la décision s’inscrit dans « un temps absolu, vrai et mathématique » (Chia, 2002, p. 863). Méthodologiquement, le temps du recueil des données ne coïncide pas avec celui de la décision ; la plupart du temps, le chercheur privilégie l’analyse rétrospective au moyen d’entretiens ou de questionnaires ou bien la simulation. Cela suppose une permanence et une stabilité dans le temps de l’interprétation que font des praticiens d’un évènement donné (Cunliffe et al., 2004).

Au-delà de l’examen de ce qui se passe entre deux points d’une même séquence objective de décision, la fabrique de la décision relève de l’expérience et de la conscience de la durée (Ariely et Zakay, 2001), d’autant que l’on représente la décision comme une représentation sociale (Laroche, 1995) inscrite dans le paradigme de l’organisation. Notamment parce qu’elles sont des « espaces temps » réduits, les organisations temporaires (Lundin et Söderholm, 1995), les organisations hautement fiables (HRO) ou les processus micro-organisationnels peuvent constituer des objets propices à l’étude située de cette expérience de la durée.

Plus largement, il y a sans doute à mieux figurer la pluralité des temporalités du phénomène décisionnel en considérant les contraintes physiques du temps autant que celles plus subjectives de la durée. Certains travaux ouvrent la voie à une conception moins orthodoxe du temps dont les implications peuvent être bénéfiques à l’étude de la décision sur un triple plan ontologique, théorique et méthodologique. En premier lieu, un courant de recherches suggère une conception post-dualiste du monde qui encourage une reconceptualisation de l’ontologie, en particulier du concept de temps. Une approche du « decid-ing » ou de la fabrique de la décision découlerait ainsi d’une ontologie processuelle, « en devenir », de l’organisation. En second lieu, des travaux privilégient l’analyse du modus operandi à celle de l’opus operatum, pour reprendre les termes de Bourdieu (2000), et particulièrement ceux du courant as-practice, des Workplace Studies ou de la Naturalistic Decision Making. Cette dernière approche traite ainsi, dans une perspective positive, des problèmes cognitifs d’un décideur considéré comme expert lors de situations d’urgence (Zsambok 1997 ; Lipshitz et al. 2006). Ces courants permettent au total d’interroger les méthodes de recueil et d’analyse de données et de tirer des enseignements sur le prisme d’analyse. En particulier, une attitude ethnographique de la fabrication in situ de la décision permet d’approcher simultanément l’expérience de la durée par le chercheur et le praticien.

Powered by eZ Publish™ CMS Open Source Web Content Management. Copyright © 1999-2010 eZ Systems AS (except where otherwise noted). All rights reserved.