Fêter halloween dans l'entreprise ? Pour quoi ?
Fêter halloween dans l'entreprise ? Pour quoi ?
La fête des morts dans l'entreprise, pourquoi pas ? Ne serait ce pas l'occasion d'exprimer peurs et ressentiments dans un cadre ? Qu'aurait à y gagner le salarié ? Qu'aurait à y gagner l'organisation et l'encadrement? Une vraie plus value en fait !
Si la fête des morts fait sens pour la majorité des personnes dans la société et que les enfants s'en emparent allègrement pour se faire des frayeurs à bon compte, tout comme la fête des couleurs en Inde qui permet à chacun "de se lâcher" une fois dans l'année, pourquoi ne pourrions ne pas réfléchir à un investissement de cet évènement dans l'organisation pour permettre que soit vécu, parlé, fantasmé un rapport à la peur, à la disparition, à la castration, à l'angoisse afin de pouvoir passer à autre chose ? Cette fête des morts permet d'exprimer et de transcender nos pulsions mortifères, d'apprendre à en rire pour pouvoir non les dénier et les bannir mais vivre avec sans en être prisonnier ou envahi trop fortement... Cela pourrait être une idée à creuser à l'heure des risques psychosociaux où chacun risque de se cristalliser sur sa douleur, ses peurs. Cela redonnerait de l'espace et permettrait peut-être de réguler cet aspect d'une vie en communauté.
Du point de vue du salarié, il pourrait avec ses "camarades de jeu" exprimer ce qui le travaille en toute impunité par le biais du déguisement, de la mise en scène exagérée et sous couvert du jeu avec son Je ayant droit de cité pour une fois.
Du point de vue de l'équipe, cela renforcerait la capacité à vivre des situations de stress organisé en inversant les jeux de rôles internes. En effet, comme pour les flash mobs, il est probable qu'on pourrait constater un changement des positionnements dans l'équipe, les leaders en situations de stress n'étant pas les même qu'en situations professionnelles où l'aspect maitrise des techniques prime. Cela pourrait avoir un aspect fédérateur, questionnant la place de chacun et redonner ainsi du jeu et de la souplesse dans le collectif.
Du point de vue de l'organisation et du management, on peut supposer qu'il est utile d'organiser l'expression des peurs, des difficultés, de la solidarité plutôt que de risquer d'en être les victimes comme figures d'autorité offerte au besoin de s'opposer au cadre et aux contraintes inhérentes à toute vie collective.
Du point de vue des instances veillant au bien être des salariés, l'utilité peut sembler vaine et être analysée comme une appropriation des dirigeants pour simplement donner aux salariés la capacité d'accepter toujours plus de contraintes et d'obligation.... Cela me semble une erreur car le stress au travail est intrinsèque à toute activité contrainte. Le rôle d'un encadrant est de favoriser l’acquisition des ressources nécessaires pour permettre à ses collaborateurs de vivre ces situations au mieux. On peut légitimement penser le rôle de l'encadrant, au-delà d’une simple supervision des tâches, comme de favoriser l’enrichissement du travail de ses collaborateurs afin d'en faire un temps de vie dans un collectif au-delà simplement d’un temps de travail organisé. Il semble primordial en temps de crise de concevoir l'entreprise comme un lieu de vie organisé, où le rapport à l'autorité, aux normes doit être pensé et non minoré voir dénié.
Le sujet et son abord clinique s'invite au sein des organisations et c'est tant mieux. « Poser un regard clinique sur une situation, c’est d’abord considérer qu’elle est composée de sujets. […] La posture clinique invite à penser le sujet comme une potentialité »[i] Ce regard sur le salarié permet de ne pas entrevoir chez lui uniquement son potentiel technique professionnel mais donne une entrée pour prendre en compte sa subjectivité / intersubjectivité de sujet et ainsi interroger ce qu’il éprouve, ce qu’il exprime lorsqu’il est en poste.
On ne peut plus penser l'entreprise comme "hors sujet" comme le développe avec brio un collectif dans l'ouvrage « Le management hors sujet » dans la nouvelle revue de psychosociologie sous la direction de Gilles Arnaud et Maryse Dubouloy. Maurice Thévenet affirme que le « sujet » (personne qui a des sentiments, une histoire, un vécu pour faire simple) est au cœur de l’activité managériale[ii]. En effet, ce n’est pas comme on l’entend trop souvent lors d’accompagnement ou de formation au management, une activité sociale (« je ne suis pas une assistance sociale » dit le manager non formé ) qui le détourne de sa fonction d’organisateur de production. « La personne est au centre de la performance » [iii] et cela reste une visée qui est loin d’être atteinte car nous manquons de références, de travaux de recherche sur cette thématique. Eugène Enriquez a ouvert la voie avec son ouvrage « l’organisation en analyse » et clinique du pouvoir où il aborde la question du salarié « consommable », prêt à l’emploi mais en contre point prêt à être jeté également. Il développe aussi la notion de père, du manager figure d’autorité qui questionne sur l’envie de « tuer le père », le rapport au pouvoir, à la force, à l’autorité qui en fait un support d’identification, d’amour mais aussi de peur et qui passe de la fonction à la personne. Également, Florence Giust Des Prairies dans « imaginaire collectif » permet de mettre en évidence que l’imaginaire des salariés va participer par l’élaboration de représentations porteuses ou génératrice de souffrance. Cette construction imaginaire subjective qui prime sur le « réel » offre une dynamique collective qui impacte fortement sur les conflits, les compromis entre individus ou avec l’organisation « désincarnée ».
Gilles Herreros parlant de L Boltanski[iv] rappelle que les organisations sont des « êtres sans corps » qui imposent leur lecture dite objective du réel sans questionner que ce réel a été créé, coopté via des personnes limitées par leur subjectivité, leur expérience, leurs enjeux ( en jeu).
Comment le travail de deuil est-il abordé au sein de l’entreprise ? l’organisation, le service, le salarié perdent des marchés, des collègues, des ressources. Les technologies disparaissent mais en parle-t-on ? Ne peut on présupposer que cela serait utile de réfléchir aux effets non désirés de ces deuils ?
Comment le rapport au pouvoir, à l’autorité intervient dans l’entreprise ? L’attention se porte de plus en plus sur les risques psychosociaux et à l’évidence les managers sont au cœur de cette attention soit qu’on attende d’eux de repérer ces risques, soit qu’ils en soient à l’origine ou qu’ils en soient victimes. Le manager a de plus en plus par délégation un rôle RH au sein de son équipe et l’aspect humain de son rôle devient prégnant puisqu’il devient facteur de risques et donc de coût.
Comment réfléchi t-on aux « fantômes » qui hantent l’entreprise, à fantasmes qui ont construit l’entreprise lié le plus souvent à l’homme qui l’a fondé. Regardons simplement Apple et l’impact du mythe fondateur de son créateur Steve Jobs. Commettre l’erreur de ne pas prendre en compte la personnalité ou les éléments historiques qui ont permis la genèse de savoir faire, de mobilisation des collaborateurs, c’est prendre le risque de ne chiffrer que le visible en oubliant la valeur ajoutée du « sujet » participant à la richesse de l’organisation.
Comment parle t’on la violence faite au quotidien ou lors de crise ? Peut-on se permettre de l’ignorer au risque pour l’individu du drame et de l’organisation d’une judiciarisation – médiatisation préjudiciable à la notoriété et aux profits ?
En conclusion, il me semble qu’on ne peut penser l’activité de manager sans s’intéresser et le former à ce qui se passe chez les personnes aussi bien qu’entre les personnes. Construire l’avenir, c’est comprendre et faire des choix. Cela nécessite d’avoir des repères, de réfléchir dans une ligne de temps en dehors du stricte court terme, de minimiser les effets indésirables en les assumant car le zéro impact n’existe pas.
Halloween pourrait être un terrain d’expérimentation de ces dimensions cliniques où les sujets pourraient s’exprimer dans un cadre rassurant puisque limité. Tout à chacun y gagnerait à prendre conscience de dimensions non parlées dans l’organisation, à laisser sortir ces bouts de sujets et décider ce qui peut en être fait. Écouter n’est pas résoudre mais donner un espace pour poser, déposer et continuer à vivre.
Voici quelques pensées pour Halloween
Bien à vous
Ronie Bouchon
www.arianesud.com
[i] Vers des organisations réflexives : pour un autre management de Gilles Herreros, dans l’ouvrage « Le management hors sujet » n°13 dans la nouvelle revue de psychosociologie sous la direction de Gilles Arnaud et Maryse Dubouloy, ed Erès, 2012, p49
[ii] Le management hors sujet de Maurice Thévenet, dans l’ouvrage « Le management hors sujet » n°13 dans la nouvelle revue de psychosociologie sous la direction de Gilles Arnaud et Maryse Dubouloy, ed Erès, 2012, p94
[iii] Le management hors sujet de Maurice Thévenet, dans l’ouvrage « Le management hors sujet » n°13 dans la nouvelle revue de psychosociologie sous la direction de Gilles Arnaud et Maryse Dubouloy, ed Erès, 2012, p97
[iv] Vers des organisations réflexives : pour un autre management de Gilles Herreros, citant L Boltanski « De la critique, Précis de sociologie de l’émancipation » Paris, Gallimard 2009